Les Français seraient victimes d’une hallucination collective

Accroissement des populations immigrées et natives (en nombre absolu et en moyenne annuelle) au cours des deux périodes de sept ans, séparées par l’inclusion de Mayotte au 1er janvier 2014.
Source : Insee, enquêtes annuelles de recensement.
Lecture : en 2006-2012, le nombre d’immigrés a augmenté de 699 000, soit à peu près 100 000 par an.

Accroissement des populations immigrées et natives (en nombre absolu et en moyenne annuelle) au cours des deux périodes de sept ans, séparées par l’inclusion de Mayotte au 1er janvier 2014.
Source : Insee, enquêtes annuelles de recensement.
Lecture : en 2006-2012, le nombre d’immigrés a augmenté de 699 000, soit à peu près 100 000 par an.

Commentaires

ISNARD Laurent

27.11.2022 23:14

Cette période de baisse étant due à la crise de 1929 (avec des effets sur l'emploi à partir de 1932) et à la 2e guerre mondiale.

ISNARD Laurent

27.11.2022 23:13

Selon l'INSEE, la part des immigrés et des enfants d'immigrés augmente en France depuis 1911 (2,7%) jusqu'en 2021 (10,6%).
La seule période de baisse a été de 1931 à 1946.

bellini

23.11.2022 15:37

Les journalistes sont plus détestés que les percepteurs. Il doit y avoir une bonne raison!

Jean-Pierre Baux

23.11.2022 15:04

Bravo pour votre conclusion pleine de bon sens

Altérophile

23.11.2022 13:31

Si Chirac et Giscard n'avaient pas déconnés, nos SDF, pauvres et mal logés adultes ayant tous leurs arrières grands-parents français seraient ils moins malheureux ?

HERVÉ LE BRAS SUR FRANCE CULTURE (II)

Compter les vivants, compter les morts. Histoire des études démographiques

Émission Le cours de l’histoire, France Culture, 15 novembre 2022

49:53 – 53:16

23 novembre 2022

Vers la fin de l’émission, Xavier Mauduit interroge Hervé le Bras sur ses publications récentes afin d’élargir le propos :

« HLB, vous êtes l’auteur, je l’ai dit, de Il n’y a pas de grand remplacement et également de Le grand enfumage ? Populisme, et immigration dans sept pays européens. Dans toute cette réflexion de la démographie, eh bien on ne s’arrête pas aux statistiques. Il faut sortir des chiffres pour aller voir ce que dit la société de cette population parce que c’est l’écart entre les deux qui est intéressant, entre le ressenti et puis, ben, la réalité. »

Hervé Le bras, bien content de la perche qu’on vient de lui tendre, enchaîne :

« Non. Vous avez tout à fait raison. Ce que vous citez et qui m’a souvent beaucoup occupé c’est, justement, le cas des migrations et surtout cet écart incroyable entre la perception et la réalité des migrations, écart qui ne s’amoindrit pas dans l’époque récente. Mais là, je dirais, souvent ça relève d’autres disciplines que la mienne, notamment la psychologie sociale, parce que si vous regardez les chiffres, vous ne comprenez pas le sentiment des populations et vous ne comprenez pas non plus la raison pour laquelle elles votent pour tel ou tel parti. Il y a une sorte de cécité des populations à ce qui se passe autour d’elles en termes démographiques. C’est, sur le nombre des étrangers, particulièrement net et c’est très difficile de s’y opposer. Donc, dans les deux livres que vous avez cités, au contraire du 1er livre sur l’évolution des partis en France sur le long terme, là, les deux livres que vous avez cités, c’est vraiment pour s’attaquer… Je me suis dit, faut prendre une seule question et puis la prendre dans le détail » (je souligne).

C’est comme cela, dit-il, qu’il s’est attaqué à la question du grand remplacement :

« … c’est une chose que ne comprend pas toujours le commun du public, c’est que un chiffre n’a pas de sens en lui-même. Un chiffre a un sens par rapport à une question. Donc, la question posée par le grand remplacement c’est : est-ce que la part de non Français, disons, augmente chaque année ? » (je souligne).

Pour Hervé Le Bras, c’est donc l’évolution de la part des étrangers qui nous dit si le grand remplacement existe ou non. C’est en tout cas ce que l’on comprend à ce stade. Or le terme « étranger » a un sens juridique (il désigne celui qui n’a pas la nationalité française), lequel n’est évidemment pas repérable, dans la plupart des circonstances, par les habitants. Le ressenti dont parle Xavier Mauduit ne se fonde évidemment pas sur les papiers dont disposent les gens qui sont vus comme des habitants venus d’ailleurs. Le nombre d’étrangers et son évolution sont donc incapables de valider ou non le « ressenti » des gens. Ajoutons que le nombre d’étrangers et leur part dans la population totale sont sensibles au rythme des acquisitions de la nationalité française et aux déclarations de nationalité des nés en France de parents étrangers, pas toujours exactes.

Si l’on en croit la définition qu’Hervé le Bras donne en première intention au grand remplacement, celui-ci existe bel et bien…

Posée comme cela, la question du grand remplacement appelle une réponse positive sans aucune ambiguïté. D’après les enquêtes annuelles de recensement de l’Insee, le nombre d’étrangers serait passé en quinze ans (2006-2021[1]) de 3,65 millions à 5,23 millions, en comptant Mayotte à partir de 2014. Cette discontinuité oblige, en toute rigueur, à sauter 2013 (du 1er janvier 2013 au 1er janvier 2014) et à considérer 2006-2013 et 2014-2021 séparément. Le nombre d’étrangers s’est accru de 62 000 en moyenne par an sur la 1ère période et de 134 000 par an sur la deuxième. Leur part a augmenté modérément de 2006 à 2013 (+ 1,22 % en moyenne par an), mais plus vite ensuite (+2,73 % en moyenne par an). Mais la part de « non Français », c’est-à-dire d’étrangers, a bel et bien augmenté chaque année. D’après la définition d’Hervé le Bras, il y aurait bien un grand remplacement. Il est regrettable que Xavier Mauduit n’ait pas eu la présence d’esprit de lui demander si cette part avait augmenté. 

… Mais, en deuxième intention, le grand remplacement, défini autrement, n’existe pas

En effet, à ce stade, l’auditeur s’attend à ce qu’Hervé Le Bras se réfère à ces chiffres, d’après sa propre définition du grand remplacement. Eh bien non ! Il change de pied et se met soudain à parler des immigrés (nés étrangers à l’étranger) - ce qu’il aurait dû faire, au moins dans un premier temps, dès le début - et sans répondre à la définition qu’il a donnée du grand remplacement :

« on voit que le nombre d’immigrés, en moyenne, au cours des 15 dernières années, a augmenté de 90 000 par an, pour une population de 67 millions et demi d’habitants. Donc c’est grotesque de parler, si vous voulez, de grand remplacement. »

Il n’examine donc pas si la part des immigrés a augmenté chaque année, ce qui est le cas [2]. Il relativise l’accroissement annuel du nombre d’immigrés en le comparant à la population totale en fin de période.

En plus, il se trompe. Le nombre d’immigrés est en fait passé en quinze ans de 5,14 millions à 6,96 millions entre 2006 et 2021[3]. Mais, là encore, il faut séparer les deux périodes (sans Mayotte jusqu’au 1er janvier 2013 et avec Mayotte à partir du 1er janvier 2014). Sur aucune des deux périodes, l’accroissement annuel n’est équivalent à ce qu’Hervé Le Bras annonce. Par ailleurs, d’après les données de l’Insee, l’augmentation du nombre des natifs qui, rappelons-le, comprend aussi des enfants d’immigrés, a été en 2014-2020 inférieure à celle du nombre d’immigrés sur la même période et trois fois moins importante que sur les sept années allant de 2006 à 2012 (tableau ci-dessous). Le taux d’accroissement du nombre de natifs est nettement inférieur à celui des immigrés : 4,08 ‰ contre 18,4 ‰ sur la première période et 1,54‰ contre 20,8 ‰ sur la deuxième.

En bref, la population immigrée augmente beaucoup plus vite que celle des natifs.

En termes relatifs, ce n’est pas à la population totale qu’il faut rapporter l’accroissement annuel du nombre d’immigrés. Si l’on veut estimer la place prise par les immigrés au fil des ans, c’est l’évolution de la proportion d’immigrés qu’il faut retenir. Son taux d’accroissement a été, en moyenne, de 1,31 % sur la première période et de 1,76 % sur la deuxième.

Une société victime d’hallucination collective du ressort du psychologue

Hervé Le Bras s’étonne qu’on parle autant de grand remplacement, compte tenu des moyens statistiques dont on dispose pour l’invalider :

« On a tous les moyens et pourtant on en parle. Pourtant, ça nourrit des débats interminables et qui sont simplement des débats à l’extrême droite. Et donc, là, c’est très, pour quelqu’un comme moi qui est historien, mais surtout démographe, c’est très difficile comme situation parce que je ne suis pas psychologue ! »

Au vu du chiffre incontestable qu’il pense avoir présenté, mais pourtant faux, Hervé Le Bras diagnostique une pathologie française touchant une population qui ne voit pas ce qu’elle devrait voir, pathologie du ressort, dit-il, des psychologues. Ce n’est pas la première fois qu’il recourt à la pathologisation de la société française. C’était déjà le cas dans la conclusion de sa note de la Fondation Jean-Jaurès en 2019 :

« En conclusion, on sait malheureusement que ces données et ces observations sont difficilement acceptées par une grande partie de l’opinion pour plusieurs raisons qui relèvent non de l’économie ou de la statistique mais de la psychologie sociale. »[4]

 Peut-être que, tout simplement, les Français s’inquiètent de la dynamique démographique de la France dans laquelle l’immigration a joué un rôle majeur ces dernières années[5], rôle dont ils pressentent qu’il devrait s’accentuer encore à l’avenir. Et peut-être vaudrait-il mieux que les politiques s’intéressent à cette inquiétude et essaient d’y répondre, plutôt que d’y voir une sorte d’hallucination collective comme le suggère Hervé Le Bras. On attend du démographe, qu’Hervé le Bras se vante d’être, un peu plus de sérieux lorsqu’il oppose des chiffres aux perceptions communes. Comment convaincre les Français qu’ils se trompent en leur faisant la leçon avec des chiffres faux ? On aimerait aussi que, sur une radio publique comme France Culture, le journaliste qui l’interroge soit un peu moins extatique et en mesure de remarquer des contradictions pourtant évidentes.

[1] Le chiffre pour 2021 est provisoire.

[2] La proportion d’immigrés est passée de 8,11 % en 2006 en France hors Mayotte à 10,30 % en 2021 en France (Mayotte comprise). Source Insee.

[3] Estimation provisoire pour 2021. Source Insee.

[5] Du 1er janvier 2014 au 1er janvier 2021, le nombre d’immigrés nés en Afrique progressait de 24 % quand celui des natifs n’augmentait que de 0,9 %. Et ceci sans décompter, parmi les nés en France ceux dont un parent est immigré. Rappelons simplement que, parmi les nouveaux nés en 2021, 28 % avaient au moins un parent né en dehors de l’UE27. Source Insee : enquêtes annuelles de recensement et état civil.