Coming Apart : The State of White America, 1960-2010

Charles Murray  

Crown Forum, 2013, 416 p.

 

Le dernier livre de Charles Murray, Coming Apart, a déjà fait couler beaucoup d’encre dans la presse américaine. Auteur controversé, surtout après la publication, en 1994, de The Bell Curve : Intelligence and Class Structure in American Life, écrit avec Richard J. Herrnstein, il a l’habitude d’irriter certains[1] et de plaire à quelques autres[2]. Charles Murray peut être décrit comme un conservateur libertarien plaçant ses espérances dans les vertus individuelles des citoyens et non dans l’intervention de l’État. Un pays peuplé de citoyens vertueux, dont les vertus sont défendues par la constitution, c’est à peu près tout ce qu’il aurait fallu à l’Amérique pour réussir. L’exceptionnalisme américain tiendrait à la manière dont les Américains ont su cultiver dans l’ensemble de la société, jusqu’à une période récente, ces vertus qui ont permis à l’Amérique d’être ce qu’elle est. Il ne s’intéresse qu’à cette réalité-là, armé de statistiques diverses, pour la plupart tirées des recensements ou de la General Social Survey, enquête annuelle qui existe depuis le début des années 1970. Il a sans doute tort de négliger les questions de justice et d’égalité et plus largement l’évolution de l’économie, mais il a l’avantage, pour un lecteur français de se préoccuper de tout un secteur de la réalité auquel on attache généralement peu d’importance, celui des valeurs et fondements culturels de nos sociétés.


Il ne prétend pas regarder la réalité dans tous ses aspects en toute impartialité. Il développe une thèse dont il ne cherche pas à convaincre à tout prix qu’elle est l’unique façon d’analyser le réel. Cette thèse consiste à dire que, si ses prémisses sont correctes, l’Amérique risque de s’effondrer comme un château de cartes, en raison de l’écart grandissant qui sépare une nouvelle élite (new upper class) d’un nouveau sous-prolétariat (new lower class) qui s’est éloigné des vertus fondatrices de la société américaine, sur lesquelles nous reviendrons : en gros les 20 % les plus éduqués et les plus riches d’un côté et les 30 % qui le sont le moins de l’autre. Il admet volontiers que l’on puisse ne pas être d’accord avec l’ensemble de sa thèse et développer une autre analyse des faits : « si vous pensez qu’apporter égalité et sécurité économiques sont les premières fonctions d’un gouvernement, alors vous devez être un social-démocrate. Vous pouvez facilement trouver des arguments en faveur de la social‑démocratie (compte tenu de cette double priorité) dont vous pensez qu’elle est irremplaçable. Je regarde ces mêmes arguments et les juge secondaires, sans intérêt et absurdes – non pas parce que les chiffres sont faux, mais d’abord en raison des principes. » (p . 280). Il écrit aussi de manière très éclairante que « nos opinions en matière politique sont fondées sur notre vision de la nature de la vie humaine et de la société humaine qui ne peuvent être remises en cause par des chiffres » (p. 234). Ces avertissements auraient été les bienvenus plus tôt, afin de laisser d’emblée au lecteur la marge de liberté nécessaire pour rapporter entièrement ses propos et démonstrations à sa vision de la société américaine idéale, dans ce qu’elle a pour lui d’exceptionnel. Il n’empêche, l’auteur affiche le conditionnement complet de son analyse à des prémisses auxquelles il croit viscéralement. Il admet expressément le relativisme de sa propre analyse scientifique des faits. C’est assez rare pour être salué.


On pourrait alors penser que, si l’on réfute sa vision, on n’a rien à apprendre de la société américaine, a fortiori de la nôtre, en lisant son livre. Ce n’est pourtant pas le cas. Mais voyons d’abord un peu plus en détail quelle est sa thèse.

Comme le sous-titre l’indique, il concentre son attention sur les Américains blancs, dans la majeure partie de son livre, non parce que seul l’avenir des blancs lui importe, mais pour éviter que les tendances qu’il décrit soient spontanément imputées à une affaire raciale ou ethnique. C’est bien de classes sociales dont parle. Par ailleurs, même s’il s’y aventure lui‑même en fin d’ouvrage de manière pas très heureuse, le débat sur les solutions lui paraît secondaire, de même que la compréhension des causes de ce qu’il observe : « la chose importante est de regarder sans ciller la nature du problème. » (p. 12)


Il y a toujours eu des riches et des pauvres aux Etats-Unis. Mais, jusqu’au début des années soixante, dit-il, ils ne vivaient pas trop différemment les uns des autres et étaient imprégnés d’une même culture civique fondée sur ce qu’il appelle les « vertus fondatrices » . « L’instruction de Theodore Roosevelt, rejeton d’une famille de l’élite new-yorkaise, bien que délivrée par des précepteurs, se fondait sur les mêmes manuels que ceux lus en classe par les enfants des fermiers de l’Ohio, des commerçants de Chicago et des pêcheurs de la Nouvelle Angleterre » (p. 141). Les histoires édifiantes contenues dans McGuffey Readers, peut-être l’équivalent américain du Tour de France de deux enfants d’Augustine Fouillée à peu près à la même époque, étaient lues par tous les enfants. « Dès la moitié du XXème siècle, l’idée que l’école était l’endroit où l’on devait inculquer un ensemble de vertus par une socialisation systématique avait été rejetée […] On en est venu à supposer implicitement que le système américain lui-même continuerait de fonctionner en toute circonstance pourvu que nous fassions de bonnes lois» (p. 142). Charles Murray, on l’aura compris, ne peut partager une telle vision : « L’Amérique demeurera exceptionnelle dans la mesure où son peuple continuera d’incarner les mêmes qualités que celles qui l’ont fabriquée dans les deux premiers siècles de son existence. » (p. 143)


Cette culture civique s’est considérablement érodée au fil du temps, mais beaucoup plus dans le sous-prolétariat que parmi ceux qui sont à la fois les mieux éduqués et les plus riches. Charles Murray consacre la première partie de son ouvrage à décrire la formation de la nouvelle élite (The new upper class). Par là, il désigne les gens qui dirigent l’économie, la politique et les institutions culturelles du pays, distinguant même une « narrow elite » ne comprenant que ceux qui ont une véritable influence. Cette élite existait déjà dans les années 1960 mais avait des origines sociales assez diverses et ne se distinguait pas par un mode de vie à part: « Ils étaient des gens puissants, mais ne formaient pas une classe. » (p. 21). Au fil du temps cette élite s’est de plus en plus isolée des modes de vie du reste de ses concitoyens, au prix d’une ignorance grandissante de la vie du pays sur lequel elle exerce son pouvoir. Charles Murray explique l’avènement et l’épanouissement de cette classe de privilégiés par la valeur marchande croissante attribuée à l’intelligence, l’explosion de la richesse parmi les plus riches, le perfectionnement des mécanismes de sélection à l’université qui se sont mis en place dans les universités d’élite dès les années 1960[3] (« les entrants à Harvard en 1952 auraient figuré parmi les 10 % moins bons de ceux admis en 1960 » p. 55) et l’homogamie cognitive qui résulte des unions entre personnes de très haut niveau éducatif. Cette élite cultive l’entre-soi et s’auto-reproduit. C’est ce que Robert Reich appelait déjà en 1991 « la sécession de ceux qui réussissent »[4]. Même dans des villes réputées pour leur diversité, celle‑ci est trompeuse : à New York, elle « n’existe que dans la rue. Dès que les gens ont pénétré dans leur bureau ou leur appartement, ils se retrouvent avec des collègues et des voisins qui appartiennent aux tous derniers centiles de la distribution par revenu et niveau éducatif » (p. 73). À titre d’exemple, Charles Murray classe les treize quartiers (zipcodes) les plus chics de Washington en fonction du centile de répartition combinant richesse et l’éducation : « Onze d’entre eux se trouvaient dans le 99ème centile. Et pas n’importe quelle place dans ce centile. Dix sur onze se situaient dans la moitié supérieure de ce centile, classement qui n’est partagé que par moins de 5 Américains sur 1000 en moyenne » (p. 81).  En 2000, les quartiers qu’il appelle « the Big Four », situés à New York, Washington, Los Angeles et San Francisco, rassemblaient 39 % de cette élite étroite vivant dans ces quartiers huppés (SuperZips, dernier percentile). Une étude de la localisation, en 2004, de la promotion de Harvard, Princeton et Yale en 1979, montre que 83 % d’entre eux résident dans les quartiers du dernier décile combinant revenus et niveau éducatif. Cette élite conjugue un mode de vie en tous points étranger à celui de la plupart des Américains, tant dans sa façon de manger, de se distraire ou d’élever ses enfants pour lesquels la course aux meilleures écoles commence très tôt. La transmission passe désormais par le maintien d’un capital cognitif, favorisé par l’homogamie cognitive, l’entre-soi et l’énergie dépensée pour placer ses enfants dans les meilleures conditions possibles afin de répondre aux critères de sélection des plus grandes universités. Cette élite n’a aucune idée des préoccupations et des conditions de vie des Américains ordinaires. C’est le revers de l’efficacité croissante qu’a eue l’Amérique à orienter vers les meilleures universités les jeunes gens aux performances intellectuelles les plus élevées et à injecter ce capital humain dans l’économie américaine.


Que sont devenues les vertus fondatrices de la société américaine au fil de cette transformation qui a accompagné le développement d’une contre-culture dans les années 1960, puis d’une réaction à cette dernière dans les années 1980, et enfin d’une synthèse plus ou moins heureuse opérée par ce que David Brooks a appelé les Bobos[5] ?


C’est la question à laquelle tente de répondre l’essentiel du livre de Charles Murray. L’Amérique, comme projet, a reposé, selon lui, sur quatre vertus fondatrices : l’ardeur au travail, l’honnêteté, le mariage et la religiosité. Comment ont-elles traversé ces années de turbulence dans les deux segments extrêmes de l’échelle sociale, les 20 % les mieux éduqués et les plus riches et les 30 %  les moins dotés des Américains âgés de 30-49 ans ? Établir ce que sont les 20 % et 30 % en question sur une période aussi longue est en soi un problème ardu, les compétences requises dans les mêmes professions ayant évolué avec le temps. Charles Murray va le résoudre en affectant aux Américains blancs âgés de 30-49 ans,  le score cognitif correspondant au plus haut diplôme obtenu en lui ajoutant celui correspondant à une standardisation du score cognitif requis pour la profession exercée[6] ou en doublant le premier en l’absence d’emploi. Afin de rendre l’analyse plus vivante, il affecte une résidence fictive aux 20 % les mieux dotés - Belmont, quartier chic de Boston – et aux 30 % les moins dotés – Fishtown, quartier populaire du Nord-Est de Philadelphia, en voie de boboïsation en fin de période. Cette localisation fictive lui permet d’aller au-delà des analyses statistiques pour consacrer un chapitre entier à Fishtown, la ville réelle, à partir de monographies menées par d’autres à Fishtown même ou dans le voisinage immédiat de Fishtown[7].

Sans entrer dans le détail des séries statistiques mobilisées, Charles Murray constate que ces quatre vertus fondatrices ont perdu de leur influence, tout particulièrement à Fishtown, plus touché par la déstructuration de la structure familiale traditionnelle (raréfaction des gens mariés et des enfants élevés par leurs deux parents biologiques) par la délinquance (détenus, libérés conditionnels, mesure de probation), par la rareté des emplois stables et réguliers et par le déclin de la religiosité. L’engagement religieux a reculé à Belmont, mais plus encore à Fishtown où le noyau de pratiquants est si mince que ces derniers font désormais plus figure d’hurluberlus que de ciment communautaire. S’agissant du Fishtown réel, la gentrification qui s’est opérée dans les années 2000 a fait monter les prix immobiliers et a relégué les habitants dans la périphérie. Le Fishtown réel est donc en voie de disparition, mais pas le Fishtown fictif qui s’est relocalisé dans les banlieues ou dans les petites villes de l’Amérique rurale.

Charles Murray s’essaie ensuite à mesurer l’étendue du sous-prolétariat, cette partie du prolétariat en grande difficulté, à partir de trois catégories. Il ajoute aux hommes âgés de 30‑49 ans qui ne rapportent pas suffisamment d’argent pour faire vivre un ménage de deux personnes au-dessus du seuil de pauvreté (14 634 $ en 2010), les femmes âgées de 30-49 ans qui élèvent seules leurs enfants et un quart des personnes qui ne sont engagées dans aucune activité associative[8], religieuse ou non (community isolates). Ces trois catégories sont rares à Belmont et s’y sont peu accrues, contrairement à ce qui s’est passé à Fishtown. Ce sous-prolétariat y a triplé entre 1969 et 2007 juste avant la récession (passant de 9 % à 27 %), alors qu’il n’a guère dépassé 4 % à Belmont. Lorsque Charles Murray inclut les classes intermédiaires (les 50 % de blancs qui ne sont ni du type Fishtown, ni du type Belmont) ce sous-prolétariat représente 19 % des Américains blancs âgés de 30-49 ans en 2009 et a sans doute dépassé les 20 % en 2010.


Le capital social, c’est-à-dire la capacité d’agir ensemble, s’est fortement érodé aux Etats‑Unis à partir des années 1960 (Robert Putnam[9], 2000), mais tout particulièrement à Fishtown, quels que soient les indicateurs choisis : la confiance placée dans les autres en général, les rapports de bon voisinage, l’obligeance ou la croyance selon laquelle les autres se conduisent de manière équitable. Au contraire, même si elle est moins ancrée qu’autrefois dans la vie locale, la nouvelle élite a continué d’avoir une vie sociale plutôt bien remplie. Contrairement à une idée répandue, ce n’est pas parmi les plus démunis que les valeurs américaines fondatrices continuent de prospérer, mais dans l’élite méritocratique qui, après avoir goûté aux joies de la subversion des normes bourgeoises, redécouvre les vertus de la sobriété et de la contrainte. Comme l’écrit David Brooks, « c’est vrai que les Bobos ont appris les vertus de la contrainte et de la sobriété, même si le code de sobriété Bobo doit plus à l’American Medical Association qu’à la rigueur victorienne. »


Le constat ne change guère lorsque Charles Murray passe des blancs à l’ensemble des Américains. La cassure selon une ligne sociale, qu’il diagnostique pour les blancs, vaut pour l’ensemble de l’Amérique : « Des différences de destins entre les différents groupes ethniques persistent en Amérique, mais l’Amérique blanche ne se dirige pas dans une autre direction que le reste de l’Amérique. Nous sommes divisibles en termes de classes » (p. 276).

Comme Charles Murray a annoncé ne pas être autrement intéressé par les solutions à apporter aux problèmes qu’il constate, il n’est pas nécessaire de prendre très au sérieux ses propositions. Soit l’Amérique tombe, soit elle se relève sous l’effet de l’effroi causé par l’apoplexie à laquelle l’Europe ne manquera pas de succomber conjugué au réveil de la nouvelle élite (a civic Great Awakening) qui reprendrait le flambeau de l’ancienne bourgeoisie pour transmettre  aux Américains les valeurs éternelles qui leur ont tellement bien réussi autrefois. Conclusion entièrement déterminée par le parti pris annoncé en cours d’ouvrage selon lequel la grandeur de l’Amérique repose sur les vertus des citoyens et non sur l’intervention de l’État. Rien d’étonnant donc à ce que Charles Murray ne laisse aucune place à l’action de l’État pour promouvoir ces valeurs notamment à travers un système éducatif plus performant - dont il a pourtant vanté les mérites du temps où les manuels McGuffey Readers contribuaient à distiller ces valeurs à tous les petits Américains - et qui rééquilibrerait les chances des enfants vivant dans des milieux où « la course à l’échalote » ne commence pas dès le berceau. Sans parler d’autres actions politiques que Routh Douthat détaille dans sa critique publiée dans le New York Times : diminuer les taxes sur le travail, prendre au sérieux la politique familiale, ne pas accueillir des millions d’immigrants peu qualifiés en compétition sur les mêmes segments du marché du travail, réduire les taux d’incarcération[10].


Charles Murray cite beaucoup David Brooks et partage au moins un point d’accord sur l’évolution souhaitable, qu’il appelle avec emphase le Grand Réveil de la nouvelle élite, lequel peut prêter à sourire mais contient une part de vérité applicable ailleurs qu’aux Etats-Unis sur laquelle nous ferions bien de réfléchir.


La complaisance vis-à-vis d’elle même, l’égoïsme et le confort de la pensée relativiste sont les grands défauts de la nouvelle élite méritocratique. David Brooks craint un « affaiblissement des Etats-Unis si les citoyens les plus éminents trouvent plus de satisfaction dans la possession d’une cuisine surdimensionnée que dans l’engagement patriotique (patriotic service) ». Charles Murray parle d’une « élite vaine » qui dysfonctionne autant que le sous-prolétariat, mais d’une autre manière : « au niveau de la famille, ses membres réussissent. Mais ils ont renoncé à leur responsabilité d’établir et de promouvoir des normes. Les membres les plus puissants et les plus prospères de leur classe profitent des avantages de leur position privilégiée, sans s’intéresser aux inconvénients de leur propre comportement. Ils sont actifs politiquement mais, quand il s’agit d’utiliser leur position pour  promouvoir la république, il n’y a plus personne. » (p. 294).


Charles Murray met en cause la duplicité et le relativisme (nonjudjmentalism) de cette super‑élite. « Certains parents de la nouvelle élite sont responsables de la production et de la diffusion de documents qui représentent ce qu’il y a de pire dans la culture contemporaine, quand d’autres font tout pour protéger leurs enfants de ce qui leur semble une culture violente et décadente. Quelquefois, ces parents sont les deux à la fois. Le seul point commun que je vois dans tout ceci est la mauvaise volonté à transmettre ce qu’ils pratiquent (…) La nouvelle élite détient le secret qui lui permet de maximiser ses chances de mener une vie heureuse, mais refuse de partager ce secret avec les autres » (p. 290). Cette nouvelle élite manifeste la plus grande tolérance en refusant de juger les conduites personnelles de ses concitoyens, laissant croire que tout se vaut, y compris ce qu’elle refuse obstinément de pratiquer pour elle-même et qui lui réussit si bien. Elle juge inacceptable d’utiliser des qualificatifs désobligeants pour personne « à l’exception des gens qui ne partagent pas leur opinion politique, des chrétiens fondamentalistes et du prolétariat blanc des zones rurales » (p. 290). David Brooks, dans le même esprit que Charles Murray exhorte les Bobos à assumer leur leadership : « Ils sont les mieux formés et les plus riches, mais n’ont pas, en général, consacré leur énergie à la vie du pays. De toute évidence, certains  travaillent pour le gouvernement et dans la politique, mais [la nouvelle élite] dans son ensemble, n’attache guère d’attention à la sphère publique, créant ainsi un trou béant. Pour remplir ce trou, elle doit faire ce qu’a fait la classe dirigeante de l’après-guerre, développer l’esprit de service public. »

Charles Murray apporte un autre sujet de réflexion sur le système méritocratique, dont on a tendance à faire le pivot de la justice sociale. Depuis plusieurs générations, ce système a produit aux Etats-Unis, comme dans d’autres pays, dont la France aussi, une élite qui s’auto‑reproduit. Ce n’est plus exclusivement la richesse transmise qui assure la réussite de ses propres enfants, mais l’adoption de conduites éducatives, un entre-soi, une sécession du monde ordinaire visant à leur garantir, autant que faire se peut, d’être les meilleurs dans cette compétition méritocratique. Si les qualités cognitives se transmettent aussi bien que la richesse autrefois, comment faut-il rebattre les cartes ? Il me semble, qu’à cet égard, l’excès d’attention portée à la richesse est une forme d’anachronisme qui dissimule une bonne partie des enjeux de la justice sociale.




[1] Ralph Richard Banks, « Charles Murray’s ‘Coming Apart’ and the Culture Myth », The Daily Beast, 8 février 2012. Timothy Noah, « The Two Americas », The New Republic, 20 février 2012.

[2] Bradford Wilcox, « Values Inequality », The Wall Street Journal, 31 janvier 2012. David Brooks, « The Great Divorce », The New York Times, 30 janvier 2012.

[3] Thèse déjà développée dans le premier chapitre de The Bell Curve

[4] Rober Reich, The Work of Nations : Preparing Ourselves for 21st-Century Capitalism, en français L’économie mondialisée, Dunod, 1994.

[5] Bobos in Paradise : The New Upper Class and How They Got There, Simon & Schuster, 2000.

[6] D’après les données aimablement fournies par de Hunt et Madhyastha non encore publiées.

[7] Patricia Stern Smallacombe, Why Do They Stay : Rootedness and Isolation in an Inner-City White Neighborhood, Dissertations available from ProQuest. Paper AAI3043955. 
http://repository.upenn.edu/dissertations/AAI3043955.

[8] Pour éviter les chevauchements des catégories additionnées.

[9] Bowling Alone : The Collapse and Revival of American Community, Simon and Schuster, 2000.

[10] « Can the Working Class Be Saved », The New York Times, 11 février 2012.



Un texte un peu plus court a été publié dans la revue Commentaire en 2012 :

"Les bobos ou la nouvelle élite américaine", Commentaire, Automne 2012, 38(139).

 

Derniers commentaires

28.11 | 10:40

À mon avis à la Doc de l'Ined sur le campus Condorcet ou à la BNF

27.11 | 23:14

Cette période de baisse étant due à la crise de 1929 (avec des effets sur l'emploi à partir de 1932) et à la 2e guerre mondiale.

27.11 | 23:13

Selon l'INSEE, la part des immigrés et des enfants d'immigrés augmente en France depuis 1911 (2,7%) jusqu'en 2021 (10,6%).
La seule période de baisse a été de 1931 à 1946.

27.11 | 22:57

Bonsoir

Où peut-on lire l'étude sur Crulai?

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