Insee Première n° 1910, juillet 2022

La diversité des origines et la mixité des unions progressent au fil des générations

Jérôme Lê (Insee), Patrick Simon (Ined), Baptiste Coulmont (ENS Paris-Saclay)

12 septembre 2022

Comme expliqué ici (http://www.micheletribalat.fr/453126773), l’Insee a produit une estimation de la population d’origine étrangère sur trois générations des moins de 60 ans vivant en ménage ordinaire (près d’un tiers, contre près de 30 % en 2011[1]) principalement à partir des données des enquêtes Emploi 2019 et 2020. Il estime ainsi le nombre d’immigrés, celui des enfants d’immigrés et une partie des petits-enfants d’immigrés, ceux qui ont moins de 18 ans et vivent encore au foyer des parents. Les enquêtes Emploi ont permis de repérer 28 000 immigrés, 32 000 enfants d’immigrés et 7 000 petits-enfants d’immigrés âgés de moins de 18 ans. L’Insee est allé chercher le complément des petits-enfants d’immigrés âgés de 18-59 ans dans l’enquête TeO2 qui n’en a touché que 780. Les estimations tirées de TeO2 sont ainsi plus fragiles.

Le titre de l’Insee Première interroge. Il souligne d’abord la progression de la diversité des origines au fil des générations. Littéralement, cela signifie que la diversité des origines est plus grande parmi les petits-enfants d’immigrés que parmi les enfants d’immigrés et a fortiori que parmi les immigrés eux-mêmes.

Il faut préciser tout de suite que l’Insee n’observe pas, à travers ces trois générations, une filiation réelle. Les immigrés ne sont pas exactement les représentants des parents des enfants d’immigrés du même âge, a fortiori des grands-parents des petits enfants d’immigrés du même âge. L’expression « au fil des générations » est une facilité de langage qui ne dit pas exactement ce qu’elle semble dire et invite à la prudence.

L’évolution de la composition par origine entre ces trois générations reflète celle des flux les plus récents pour les immigrés, de flux plus anciens pour les enfants d’immigrés et de flux encore plus anciens pour les petits-enfants d’immigrés.

La diversité des origines progresse-t-elle au fil des générations ?

Si l’on considère, comme le fait l’Insee, qu’il y a eu, au fil du temps, une extension des pays d’origine des immigrants très au-delà de l’Europe, c’est exactement l’inverse que l’on observe : la diversité des origines est plus grande parmi les immigrés que parmi les enfants et petits-enfants d’immigrés. Dans ce sens, la diversité des origines n’a pas progressé au fil des générations.

Si « progression de la diversité des origines au fil des générations » veut dire que la part prise par la population d’origine étrangère s’accroît avec la mixité des unions, c’est en partie tautologique. Les immigrés, dont une partie d’entre eux arrive déjà mariés, n’ont pas tous l’opportunité de se marier avec un conjoint sans ascendance migratoire directe au 1er ou au 2ème degré (que l’on appellera dans ce qui suit autochtones), comme se sera le cas de leurs enfants nés en France.

Lorsque l’Insee écrit que « L’ancienneté de l’immigration en France et l’élargissement des pays d’origine des immigrés depuis 50 ans ont façonnéla diversité de la population française » (p. 1), je comprends un peu mieux. Il faut alors entendre, par « diversité », la diversité ethnique de la population française. Ce que l’Insee ne précise pas tant l’idéologie diversitaire[2] a réussi à induire une compréhension spontanée, largement partagée, du mot diversité. En gros, la part de la population d’origine étrangère s’accroit et ses origines se diversifient.

La mixité des unions progresse-t-elle au fil des générations ?

Comme indiqué précédemment, cette assertion est en partie tautologique dans la mesure où les immigrés qui arrivent déjà mariés ont presque toujours un conjoint immigré. Lorsqu’on étudie la mixité des unions, il faut ne retenir que les personnes entrées en France alors qu’elles étaient célibataires et, si possible, tenir compte de l’âge à l’entrée. Ceux qui sont entrés avant l’âge de 16 ans ont fréquenté l’école française sans avoir généralement eu le temps de nouer des relations amoureuses avant leur arrivée en France. On peut supposer que c’est un facteur favorable à l’exogamie. Mais il faut se méfier des évidences. Dans l’analyse des premiers mariages des musulmans d’après l’enquête TeO1 de 2008, paradoxalement, l’endogamie religieuse était plus forte chez les musulmans nés en France de parent(s) immigré(s) et ceux arrivés avant l’âge de 16 ans que chez les musulmans arrivés célibataires à 16 ans ou plus[3].

L’Insee insiste bien sur l’effet probable de l’âge d’arrivée, mais ne mentionne pas l’état matrimonial à l’entrée : la proportion d’immigrés en couple avec un conjoint immigré « dépend notamment de l’âge d’arrivée en France » (p.3), peut-on lire. L’âge à l’arrivée, beaucoup plus jeune des Européens du Sud, expliquerait en partie la plus grande fréquence d’unions des Européens du Sud avec conjoint autochtone. Là encore, il faut préciser l’effet de l’ancienneté de l’immigration. Les immigrés du Portugal, mais surtout d’Espagne et d’Italie sont entrés pour la plupart il y a longtemps. Ceux qui sont aujourd’hui âgés de 18 ans ou plus sont, par construction, entrés plus jeunes que les immigrés arrivés plus récemment, sans préjuger de l’âge réel à l’entrée des migrants sud-européens lorsqu’ils sont arrivés en France. Sans indication sur l’état matrimonial à l’entrée, il est bien difficile de quantifier l’exogamie ethnique des immigrés. Néanmoins, que l’on examine les unions des immigrés ou celles des descendants d’immigrés, la part d’unions exogames est la plus faible parmi les originaires de Turquie (auxquels ont été, malencontreusement, ajoutés les originaires des autres pays du Moyen Orient, contrairement à l’enquête TeO1 qui avait gardé isolé, avec raison, le poste « Turquie ») du Maghreb et d’Afrique subsahélienne (voir l’extrait du tableau 4 de l’Insee Première ci-dessous). Comme le souligne l’Insee, les unions mixtes sont plus fréquentes chez les personnes nées en France de couples déjà mixtes. Ces dernières sont également plus souvent d’origine européenne : 52 % des enfants d’immigrés âgés de 18-59 ans, contre 32 % de ceux du même âge dont les deux parents sont immigrés.

Capture d'écran du tableau Insee
4. Origine géographique des conjoints selon le statut migratoire

Mais surtout, rappelons nous que les enfants et les petits-enfants d’immigrés interrogés en 2019-2020 ne sont pas les enfants et petits-enfants des immigrés du même âge enquêtés ces années là, comme l’indique les différences de composition par origine de chacune des générations. C’est pourquoi il est hasardeux d’examiner l’évolution des unions mixtes et la diversification de l’ascendance sur ces trois générations en bloc, comme si l’on disposait de la succession réelle des grands-parents aux petits-enfants. Si 92 % des petits-enfants d’immigrés âgés de 18-59 ans n’ont qu’un ou deux grands-parents immigrés, ils le doivent en grande partie au fait qu’ils sont à 90 % d’origine européenne, alors que ce n’est le cas que de 27 % des immigrés âgés du même âge. Et même lorsqu’on inclut les mineurs, c’est encore 75 % des petits-enfants d’immigrés qui sont d’origine européenne (graphiques ci-dessous).

Origine des immigrés, enfants d'immigrés et petits-enfants d'immigrés selon le groupe d'âges en 2019-2020
Source : Enquêtes Emploi 2019 et 2020 et TeO2 2019-2020, d'après les tableaux publiés par l'Insee.

Origine des immigrés, enfants d'immigrés et petits-enfants d'immigrés selon le groupe d'âges en 2019-2020
Source : Enquêtes Emploi 2019 et 2020 et TeO2 2019-2020, d'après les tableaux publiés par l'Insee.

L’Insee aurait donc gagné à chapeauter sa publication d’un titre plus sobre et moins trompeur. S’il est vrai qu’au fil des générations, les unions mixtes participent à l’extension de la population d’origine étrangère et à la diversité des origines, il aurait été prudent de ne pas interpréter les données sur trois générations comme reflétant le déroulé d’une parenté réelle. Ce que l’Insee a fait à plusieurs reprises et notamment dans sa conclusion : « La mixité très forte des ascendances à la 3e génération vient du fait que la 2e génération est elle-même fréquemment issue de couples mixtes : la moitié n’a qu’un seul parent immigré » (je souligne) ». L’Insee n’a pas résisté à l’attrait de tirer une loi générale d’une observation conditionnée par les circonstances.

[1] Mon estimation à partir de l’enquête Famille de 2011. Cf. « Une estimation des populations d’origine étrangère en France en 2011 », Espace populations sociétés, 2015/1-2, https://journals.openedition.org/eps/6073.

[2] Mathieu Bock-Côté, " La tentation autoritaire du régime diversitaire", Constructif, 2020/2, n°56, p. 46-49,  https://www.cairn.info/revue-constructif-2020-2-page-46.htm.

[3] Michèle Tribalat, Assimilation, La fin du modèle français, Ed. du Toucan, 2013, p.166.

Commentaires

ISNARD Laurent

12.09.2022 17:33

C'est vrai, dans une moindre mesure, des immigrés asiatiques. Donc, la diversité des immigrés diminue aux dépens de ceux d'origine européenne.

ISNARD Laurent

12.09.2022 17:32

Très juste remarque. Il suffit de faire une recherche sur les pages jaunes à partir des trois premières lettres d'un nom pour voir que les immigrés d'origine africaine sont de plus en plus nombreux.

Capture d'écran de la figure 4. Origine géographique des conjoints selon le statut migratoire

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