NATALITÉ EN BERNE (suite)

 

25 janvier 2024

 

L’Insee vient de publier le bilan démographique 2023[1]. Il porte sur la France entière (avec Mayotte depuis 2014) mais les tableaux sur la France métropolitaine sont également disponibles et permettent de raisonner à champ constant et de situer 2023 avec plus de recul, sur une période pour laquelle on ne disposait que des données sur la France métropolitaine. La période privilégiée ici sera celle commençant en 2010, année qui correspond au dernier pic du nombre des naissances (802 000), après celui de 1981 (805 000). Ce pic est suivi d’une chute d’abord relativement modérée jusqu’en 2014, puis plus rapide ensuite et qui s’est encore accélérée en 2023. Depuis 2010, on a perdu 162 000 naissances, soit une baisse de 20 % en 13 ans.

En même temps, la France doit composer avec une mortalité croissante et un pic Covid en 2020-2022. Mais ne nous y trompons pas, 2023 s’aligne sur la tendance qui a précédé ce pic. Le solde naturel est descendu à 24 000 et la France risque de rejoindre, sous peu, les pays qui connaissent un solde naturel négatif, comme les Pays-Bas l’ont fait en 2022. À cette date, la France était, en compagnie de l’Irlande et de la Suède notamment, un des rares pays de l’UE27 à avoir encore plus de naissances que de décès. À l’échelle de l’UE27, en 2022, le nombre de décès a été supérieur de 1,26 million à celui des naissances.


          Tableau du bilan démographique 2010-2023 et graphique représentant l’évolution des naissances et des décès sur la même période en

           France métropolitaine.

            Note : Les données sur la population sont encore provisoires pour les quatre dernières années. De 2021 à 2023, l’estimation définitive 

           du solde migratoire n’est pas connue. Par convention, l’Insee fait la moyenne des trois derniers soldes connus (2018 à 2020). En 2023

           s’y ajoute une petite incertitude sur les naissances et les décès estimés à partir de leur nombre fin novembre.

           Source : Insee.

 

Un nombre d’enfants par femme en « chute libre »


Cette chute de la natalité provient d’une très légère diminution du nombre de femmes en âge d’avoir des enfants[2], mais surtout d’une baisse de la fécondité, particulièrement abrupte en 2023. L’indicateur conjoncturel de fécondité (ICF) est passé en treize ans de 2,02 à 1,64 enfant par femme (graphique ci-dessous). C’est le nombre d’enfants par femme le plus bas enregistré en France depuis les années 1915-1919[3].


                                                           Évolution de l’indicateur conjoncturel de fécondité (nombre moyen

                                                           d’enfants par femme d’une année) de 2010 à 2023 en France

                                                           métropolitaine.

                                                           Source : Insee.

 

La fécondité a reculé à tous les âges en 2023. Mais c’est le recul à 25-34 ans qui a pesé le plus. La fécondité après 34 ans a elle aussi marqué le pas alors qu’elle contribuait un peu, jusque-là, à rattraper la chute de la fécondité avant 35 ans (graphique ci-dessous).

                                                     Évolution de l’indicateur conjoncturel de fécondité partiel par groupe d’âges des femmes

                                                     de 2010 à 2023 en France métropolitaine.

                                                     Source : Insee.

 

Si le report des maternités n’empêchera pas, jusqu’aux générations du début des années 1980, les femmes d’avoir en moyenne 2 enfants ou un peu plus, cela risque d’être un peu plus difficile pour les femmes nées dans les années 1990. C’est ce qu’indique la descendance atteinte à différents âges par génération (graphique ci-dessous). Mais le profil des descendances par génération des femmes en Allemagne est, en l’état, beaucoup plus aplati que celui observé en France. Le nombre moyen d’enfants par femme des générations nées dans les années 1980 ne devrait pas dépasser 1,7 enfant par femme. Rien n’indique qu’un retard croissant à la maternité puisse conduire à un niveau de fécondité assurant le remplacement des générations en Allemagne.

Descendance atteinte par génération à différents âges en France métropolitaine et en Allemagne.

Sources : Insee et Destatis.

 

Le paradoxe allemand

 

La fécondité allemande est beaucoup plus faible que la fécondité française et le nombre de naissances y a baissé dans les années 1990 beaucoup plus qu’en France métropolitaine où la natalité a même augmenté à partir du milieu de la décennie jusqu’à dépasser la natalité allemande en 2000 (graphique ci-dessous). Le nombre de naissances en France a continué d’augmenter pendant la décennie suivante et, en 2011, il dépassait de 130000 celui des naissances en Allemagne. C’est alors que la natalité allemande connaît un rebond quand celle de la France se met à décliner au point de passer en-dessous en 2016. Avec près de 792 000 naissances en 2016, l’Allemagne retrouve un niveau qu’elle n’a pas connu depuis1997 (812000 naissances).

                                               Évolution du nombre de naissances en France métropolitaine et en Allemagne de 1985 à 2022.

                                               Sources : Insee, Destatis.

 

Ce rebond allemand, avec un pic en 2016, coïncide avec l’arrivée massive d’étrangers, et en l’occurrence d’étrangères. Entre 2011 et 2016 le nombre de femmes étrangères âgées de 20-40 ans a augmenté de 54 %[4], ce qui n’est pas resté sans effet sur la natalité et la fécondité. L’ICF des étrangères, qui n’était que de 1,82 en 2011, boosté par cet afflux massif, atteint un maximum de 2,28 en 2016. En Allemagne, cette année-là, la fécondité « grimpe » à 1,59 enfant par femme, un record depuis 40 ans, niveau auquel elle ne se maintient pas avec le reflux migratoire qui suit le pic de 2015, mais qu’elle retrouve lors de la récupération post-covid en 2021 (graphique ci-dessous).



       Évolution (base 1 en 2011) du nombre de naissances, du nombre de femmes âgées de 20-40 ans et de l’indicateur conjoncturel de fécondité                    (nombre d’enfants par femmes) en France métropolitaine et en Allemagne.

       Note : Pour l’Allemagne, il a été possible de distinguer la fécondité des Allemandes et le nombre d’Allemandes âgées de 20-40 ans.

       Sources : Insee et Destatis.

 

En France, c’est la chute de la fécondité qui entraîne celle des naissances dès lors que le nombre de femmes âgées de 20-40 ans[5] n’a que très légèrement reculé. En 2022, l’Allemagne n’a que 1,36 enfant par femme quand la France métropolitaine en a encore 1,76. Pourtant, c’est l’Allemagne qui a vu sa natalité augmenter, quand celle de la France plongeait. À la progression du nombre d’enfants par femme allemande de 1,34 en 2011 à 1,46 en 2016, s’est ajoutée l’arrivée massive de femmes étrangères en âge d’avoir des enfants et qui en ont eu rapidement. L’Allemagne a connu une immigration si forte que celle-ci a fortement contribué à inverser la pente du déclin du nombre de naissances.

Mais le recours à l’immigration, pour que ses effets natalistes persistent, doit se maintenir à des niveaux extrêmement élevés. Après le boom de 2016, la fécondité des étrangères est redescendue à 1,88 en 2022. Avec une fécondité aussi basse que celle des Allemandes (1,36 en 2022), l’Allemagne compte sur les enfants que mettent au monde des étrangères, lesquelles doivent arriver en grand nombre, pour dynamiser sa démographie.

 

L’UE très préoccupée par les déficits démographiques et leurs effets sur le marché du travail

 

Si l’immigration étrangère est généralement pensée comme devant compenser les effets d’une démographie endogène trop peu dynamique, c’est à ses effets sur le nombre de personnes en âge de travailler pour aider à supporter la charge du vieillissement que pensent les dirigeants européens qui la promeuvent. La Commission européenne est très investie sur le sujet, même si la migration économique est le seul type de migration qui échappe encore à la législation européenne. On a retenu du pacte sur la migration et l’asile l’accord des gouvernements européens sur l’asile en décembre dernier, mais ce pacte contient aussi des propositions visant à stimuler la migration économique, laquelle pourrait, selon la Commission, freiner l’immigration illégale et sur lesquelles la Commission espère trouver un accord en avril prochain. Son intervention sur ce domaine réservé aux États membres se justifierait par l’interdépendance de leurs économies. Quelques citations permettent de mesurer son investissement sur le sujet :

 « Bien que les États membres conservent le droit de définir les volumes d’admission de personnes venues de pays tiers pour trouver un travail, la politique migratoire commune de l’Union doit tenir compte de l’intégration de l’économie européenne et de l’interdépendance des marchés du travail des États membres… Les politiques de l’UE doivent également aider les États à faire de leur qualité de membre de l’UE un atout pour attirer les talents » (pacte sur les migrations et l’asile) ;

« La Commission renforcera son soutien aux États membres pour qu’ils développent la migration légale avec les pays partenaires en tant que mesure incitative positive et conformément aux besoins de l’UE en matière de qualifications et de main-d’œuvre, et ce dans le respect total des compétences des États membres » (pacte sur les migrations et l’asile).

Dans sa communication du 27 avril 2022, elle énonçait les bienfaits que l'immigration qu'elle appelle de ses voeux ne manquerait pas d’apporter :

« La migration légale peut constituer en soi une forme d’investissement dans l’économie et la société dans son ensemble qui favorise les transitions écologique et numérique de l’Union tout en contribuant à rendre les sociétés européennes plus soudées et résilientes. » 

Mais dès le Conseil du 19 novembre 2004, le 1er considérant insistait déjà sur les bienfaits tous azimuts de l’immigration en provenance de pays tiers :

« Si le flux d’immigrants est géré correctement […], l’économie sera plus forte et la cohésion sociale et le sentiment de sécurité plus grands, sans oublier l’avantage que représente la diversité culturelle. »

 

Ajouter aux âges actifs des personnes venues de l’étranger, sans pouvoir compter sur une fécondité suffisante pour alimenter le bas de la pyramide des âges des populations européennes, c’est se condamner à recommencer lorsque ces personnes auront vieilli.



[1] Sylvain Papon, Insee Première n°1878, https://www.insee.fr/fr/statistiques/7750004.

[2] Le nombre de femmes âgées de 20-40 ans a reculé, mais très faiblement à partir de 2017.

[3] 1,52 enfant par femme en 1915, 1,23 en 1916, 1,34 en 1917, 1,58 en 1918 et encore seulement 1,59 en 1919.

[1] Destatis ne publie pas de données sur les immigrés. On doit donc se contenter du critère de nationalité.

[5] Âges qui cumulent 93  à 94 % du nombre moyen d’enfants par femme d’une année.