A Guide to Understanding the Hoax of the Century

Thirteen ways of looking at disinformation, Jacob Siegel

29 mars 2023 (42 p., document pdf)

https://www.tabletmag.com/sections/news/articles/guide-understanding-hoax-century-thirteen-ways-looking-disinformation


22 avril 2023

 

Jacob Siegel est rédacteur en chef de News and The Scroll, bulletins d'information quotidiens de Tablet Magazine. Dans ce guide, il expose comment s’est installé, à l’occasion de l’élection de Donald Trump, de la « menace » de sa réélection en 2020 et de la pandémie, un appareil de surveillance des médias sociaux visant à repérer et éliminer les opinions divergentes qualifiées de désinformation, recyclant à usage interne les méthodes du contre-terrorisme mises en œuvre dans les conflits extérieurs. Conjointement à ce texte, Tablet Magazine a publié un dictionnaire, à l’usage du tout nouveau « ministère de la Vérité » américain, intitulé Desinfo Dictionary[1]. Il ne faudrait cependant pas mettre sur le même plan les Etats-Unis et les régimes totalitaires. Si la classe dirigeante américaine a franchi la ligne jaune en cherchant à contrôler ce qui se dit ou s’écrit dans les médias sociaux, sous prétexte de lutter contre la désinformation et de prévenir la prise de pouvoir par un « intrus », c’est aux Etats-Unis que ce scandale a été révélé et pas dans la Russie de Poutine. Il est par ailleurs peu probable que, dans les pays démocratiques, cette tentation de contrôle soit l’apanage des Etats-Unis.

Le 23 décembre 2016, en toute fin de mandat, Barack Obama signait une loi censée combattre la propagande étrangère et la désinformation – Countering Foreign Propaganda and Disinformation Act -. Pour mener cette « guerre de l’information », il créa le Global Engagement Center (GEC). Depuis, l’État a dépensé des milliards de dollars pour contrôler internet et faire des dirigeants de la Tech « des commissaires de l’information en temps de guerre » (p. 4). Dans cette alliance entre la sécurité nationale et les médias sociaux, de nombreux anciens espions et responsables des agences de renseignement finirent par jouer un rôle dominant. À l’automne 2017, le FBI créa un groupe de travail chargé de signaler les comptes cherchant à discréditer des individus et des institutions américains. Le Department of Homeland Security (DHS) fit de même. En 2018, le GEC exposait, dans un document, l’ampleur de la mobilisation envisagée pour contrer la propagande et la désinformation. Il disait vouloir « tirer parti de l’expertise de l’ensemble du gouvernement, des secteurs de la technologie et du marketing, des universités et des ONG » (p. 5). Ce qui se traduisit par la coopération d’officiers de la CIA, de jeunes journalistes branchés, d’ONG progressistes, de groupes de réflexion financés par George Soros, de consultants en équité raciale, d’employés de la Silicon Valley, de chercheurs de l’Ivy League et… jusques et y compris Meghan Markle et le prince Harry ! L’élection de Donald Trump a été l’occasion de mobiliser, à usage interne, cette congrégation d’intérêts après qu’elle fut rôdée à l’échelle internationale.

 

1. Aux origines de la « désinformation » contemporaine : un retour inattendu de la russophobie

Différents conflits (en Ukraine, en Irak avec la prise de Mossoul par l’État islamique) combinant moyens militaires et propagande sur les réseaux sociaux convainquirent les États-Unis et les responsables de la sécurité de l’Otan de la nécessité de contrôler les communications numériques afin d’imposer leur conception de la réalité. Dès 2011, les Etats-Unis disposaient d’ « armées de trolls » qui manipulaient « secrètement les sites des médias sociaux, en utilisant de faux personnages en ligne, pour influencer les conversations sur Internet et diffuser une propagande pro-américaine» (p. 9-10). C’est cette technique qui fut ensuite dénoncée dans une opération de désinformation au carré prétendant révéler l’intervention russe en faveur de l’élection de Donald Trump. Le chef de file de cette initiative était Clint Watts, un ancien officier de la CIA et analyste du contre-terrorisme. C’est lui qui eut l’idée du tableau de bord Hamilton 68[2].

 

2. Élection de Trump : « C’est la faute de Facebook »

Donald Trump avait utilisé les réseaux sociaux pour contourner les élites du parti républicain[3] et établir un lien direct avec ses partisans. Juste après l’élection, Hillary Clinton accusa Facebook d’avoir été le vecteur de la propagande russe en faveur de Donald Trump. « La presse a si souvent répété ce message qu'elle a ainsi habillé cette stratégie politique d'une validité objective » (p.12), justifiant une mise en coupe réglée des réseaux sociaux. Pourtant, ce n’est que lorsque Barack Obama lui même eut dénoncé la propagation de fausses nouvelles sur Facebook que Mak Zuckerberg plia : « Facebook annonce une nouvelle offensive contre les fausses nouvelles après les commentaires d’Obama ». Commença ainsi à être appliquée une sorte de « loi martiale en ligne » (p. 13).

 

3. Pourquoi avons-nous besoin de toutes ces données individuelles ?

La doctrine américaine de guerre contre-insurrectionnelle (COIN), déployée en Irak et en Afghanistan, prétendait gagner les cœurs et les esprits, ce qui nécessitait une connaissance des attentes des habitants. Cette doctrine a été menée de pair avec les actions contre-terroristes visant à traquer et tuer les ennemis. Elle supposait qu’en en sachant assez sur une population, il serait possible de reformater sa société. Comme l’a expliqué un officier du renseignement militaire en Afghanistan, cette stratégie a fini par devenir un piège : collecter toujours plus de données et, grâce à des algorithmes, espérer en tirer des connaissance sur le futur.

En 1969, le Pentagone construisit le proto-internet – ARPANET –, une infrastructure de communication décentralisée censée survivre à une attaque nucléaire. Mais, comme l’a écrit Yasha Levine dans son livre Surveillance Valley, ce n’était pas son seul objectif. « Certains ont même rêvé de créer une sorte de radar d’alerte précoce pour les sociétés humaines : un système informatique en réseau qui surveillerait les menaces sociales et politiques et les intercepterait à peu près de la même manière que le radar traditionnel le faisait pour les avions hostiles » (p. 15)

La montée du populisme en 2016 amena des personnalités du parti démocrate à recycler la stratégie de contrôle du terrorisme, affinée pendant les guerres à l’extérieur, dans un usage interne afin de censurer les opinions incorrectes. C’est le cas de Graphika, consortium initialement conçu pour lutter contre les insurrections sur les réseaux sociaux en zone de conflit, qui fut, d’après Mike Benz, ancien responsable du département d’État, « redéployé au niveau national pour censurer le discours sur le Covid et le discours politique » (p.16).

« La lutte contre l’État islamique s’est transformée en lutte contre Trump et la “collusion russe”, qui s’est transformée en lutte contre la désinformation » (p.17). Toute idée de négociation et de compromis avec les partisans de Trump a été abandonnée au profit d’une « ingénierie sociale descendante visant à produire une société entièrement administrée » (p. 17).

 

4. Internet : chéri puis démonisé

L’engouement pour internet, qui remonte à l’ère Clinton, se maintint sous l’administration Bush qui considérait qu’un programme de surveillance massive était indispensable pour apporter la démocratie au Moyen Orient, puis sous l’administration Obama, période pendant laquelle les liens personnels entre la Maison Blanche et le monde de la Tech furent particulièrement étroits. Sous la présidence Obama, on dénombra 252 mouvements d’employés entre la Maison Blanche et Google. « De 2009 à 2015, les employés de la Maison Blanche et de Google se rencontrèrent en moyenne plus d’une fois par semaine » (p. 18). Hillary Clinton, à l’époque Secrétaire d’Etat, eut même ces mots dans un discours prononcé en 2010 : « Un nouveau rideau d’information descend sur une grande partie du monde […] et, au-delà de cette partition, les vidéos virales et les articles de blog deviennent le samizdat de notre époque » (p. 18). L’Hillary Clinton d’alors et celle d’aujourd’hui voyaient dans internet un outil extrêmement puissant pour conduire des évolutions politiques et des changements de régime à l’extérieur, mais pas comme un outil dont pourrait s’emparer un opposant tel que Donald Trump en Amérique. D’où le sentiment de trahison éprouvé par l’élite démocrate lorsqu’elle constata que la Silicon Valley, avec laquelle le pouvoir démocrate avait été si conciliant, n’avait rien fait pour empêcher Trump de gagner.

Face à cette « trahison », les Démocrates encore au pouvoir auraient pu tenter de démolir le monopole des entreprises de la Tech sur les données. Ils choisirent de préserver les entreprises tout en les forçant à une étroite coopération. Elles seraient plus puissantes mais aussi plus obéissantes.

 

5. Russiagate ! Russiagate ! Russiagate !

L’affaire de l’ingérence russe en faveur de Donald Trump fut une opportunité formidable pour la classe dirigeante de fusionner les objectifs du parti démocrate avec l’agenda des agences de renseignements et de sécurité et, grâce à l’architecture de surveillance que constituaient les entreprises technologiques et la ferveur des médias, elle lui donna la possibilité de contrôler le narratif diffusé. Une vaste entreprise de désinformation traquant une désinformation qu’elle avait fabriquée. Cette affaire de piratage russe qui aurait fait gagner Trump permit la mise en œuvre d’un mécanisme de censure au prétexte de garantir l’intégrité des élections. Les opinions divergentes sur les élections de 2016 furent qualifiées de conspirationnistes et anti-américaines et retirées des médias sociaux. Il en alla de même plus tard pour le Covid et le retrait d’Afghanistan.

Juste avant de partir, le 6 janvier 2017, Jeh Johnson, le secrétaire d’État sortant du DHS nommé par Barack Obama, annonça qu’en réponse à l’ingérence russe les systèmes électoraux américains (relevant de la compétence des États) seraient désormais des « infrastructures essentielles », placées sous le contrôle du DHS. C’est la solution de contournement que Jeh Johnson a trouvé après l’échec de sa première tentative d’immixtion de l’été 2016. Joli coup.

Même lorsque le rapport Mueller mit fin en 2019 aux supputations sur l’ingérence russe, le nuage de suspicion flottant au-dessus de Trump persista. La presse, tonitruante quand elle le dénonçait, se fit plus discrète quand il s’est agi de le dédouaner d’une collusion avec la Russie.

 

6. La « guerre contre le terrorisme » après le 11 septembre n’a jamais pris fin

Clint Watts, qui lança l’initiative Hamilton 68, et Michael Lumpkin, qui dirigea le GEC, sont des vétérans de l’antiterrorisme. Le GEC lui-même est né du Center for Strategic Counterterrorism Communication. C’est Emily Horne, qui avait rejoint Twitter en juin 2017, juste avant le lancement de l’Alliance for Securing Democracy, qui déconseilla Twitter de dénoncer l’arnaque du projet Hamilton 68 lancée le 2 août 2017. Avant, elle avait travaillé au Département d’État où elle s’occupait des médias numériques et de la sensibilisation des groupes de réflexion, puis pour le Conseil de sécurité du président Obama où elle dirigeait les communications stratégiques.

La guerre contre la désinformation a commencé lorsque la guerre contre la terreur (Global War on Terror) touchait à sa fin. Celle-ci avait mobilisé une infrastructure massive comprenant le monde du renseignement, le Département de la défense, la CIA, le FBI et autres agences, sans compter les groupes de réflexion et des milliards de dollars. Cette infrastructure s’est reconvertie dans la surveillance des menaces intérieures au nom de la sécurité nationale. « Aujourd’hui, il ne suffit plus d’envahir le Moyen Orient et d’y apporter la démocratie pour garantir la sécurité de l’Amérique. D’après la Maison Blanche, Biden et l’armée d’experts en désinformation, la menace vient désormais de l’intérieur » (p. 25).

 

7. La montée des « extrémistes domestiques »

Quelques semaines après l’émeute des partisans de Donald Trump au Capitole le 6 janvier 2021, l’ancien directeur du centre de contre-terrorisme de la CIA demandait au gouvernement, dans le New York Times, de mener un « programme de contre-insurrection complet », lequel suppose de ne pas se limiter aux extrémistes les plus violents. C’est à une guerre contre les mots que Clint Watts a appelé lors de son témoignage devant le Congrès en 2017 : « Nous devons tous agir maintenant sur le champ de bataille des médias sociaux pour réprimer les rébellions de l’information qui peuvent rapidement conduire à des confrontations violentes » (p. 27). Point de vue qui a tendance à faire consensus parmi l’élite. En février 2021, le DHS annonça l’arrivée de fonds supplémentaires pour prévenir le terrorisme intérieur et contrer la propagation de la désinformation en ligne.

 

8. Les ONG Borg[4]

En novembre 2018, le School’s Shorenstein Center on Media Politics ans Public Policy publia un rapport[5] dans lequel, face à l’inaction du gouvernement et des plateformes, il incitait les salles de rédaction, les universités et les fondations à « un effort collectif pour signaler ce qui est authentique et ce qui ne l’est pas » (p. 28). Il appelait en somme à la formation d’une sorte de clergé de l’information soutenu financièrement par des ONG sur la même longueur d’ondes que la classe dirigeante. La désinformation, une notion élaborée dans les mondes de l’espionnage et de la guerre, recyclée dans le monde des universités et des ONG, devenait ainsi « une pseudoscience, instrument d’une guerre partisane » (p. 29). L’initiative lancée par Barack Obama à la fin de son mandat aboutit à « la création et l’accréditation d’une classe d’experts et de régulateurs » (p. 29). Comment expliquer ce surgissement soudain d’experts en désinformation, sinon par l’engagement idéologique ? Meghan Markle et le prince Harry font déormais partie de ces experts. Ils ont rejoint la Commission on Information Disorder de l’Institut Aspen.

 

9. Le Covid-19

En 2020, en Amérique, la machine à contrer la désinformation est déjà un outil puissant. Elle va être stimulée par l’arrivée du Covid-19 pour justifier la censure de propos dissidents par rapport à la position officielle du gouvernement. Google a ainsi appelé à « supprimer les informations problématiques », « tout ce qui ira à l’encontre des recommandations de l’Organisation mondiale de la santé » [6] (p. 31). Le président Biden a accusé les entreprises de médias sociaux qui ne censuraient pas assez la désinformation sur la vaccination de « tuer des gens ». La Maison Blanche a envoyé à ces entreprises des listes de gens qu’elle voulait voir bannir. Ce fut le cas du journaliste Alex Berenson qui fut exclu de Twitter après y avoir écrit que les vaccins à ARN messager n’arrêtaient ni l’infection ni la transmission. Ce qui avait en fait été établi. En décembre 2020, Le docteur Patrick Moore, conseiller de la Food and Drug Administration, avait en effet déclaré : « Pfizer n'a présenté aujourd'hui aucune preuve, dans ses données, que le vaccin ait un effet sur le portage ou l'excrétion du virus, qui est la base fondamentale de l'immunité collective » (p. 32). Le DHS produisit en 2021 une vidéo encourageant les enfants a signaler sur Facebook les propos divergents qu’ils entendraient en famille ! N’oublions pas Klaus Schwab le patron du Forum économique mondial qui vit, dans la pandémie, l’opportunité rêvée d’une « grande réinitialisation »[7].

 

10. L’ordinateur d’Hunter : l’exception à la règle

Rappelons les prémisses de l’affaire. En 2019, Hunter Biden avait confié son ordinateur portable à un magasin d’informatique du Delaware mais n’était jamais passé le prendre ensuite. Le patron avait fini par le confier au FBI, tout en ayant pris la précaution de garder une copie de son contenu qu’il remit à Rudy Giuliani, l’avocat de Donald Trump, lequel livra l’affaire au New York Post. Le 14 octobre 2020, ce dernier fit sa Une sur les emails échangés, notamment ceux concernant une entrevue entre Joe Biden, alors vice-président, et Vadym Pozharsky, conseiller de Burisma, entreprise ukrainienne dans le secteur du gaz. Hunter Biden siégeait dans le conseil d’administration de Burisma.

Paniqués par les conséquences qu’aurait pu avoir cette révélation sur l’élection présidentielle, cinquante officiers de la sécurité nationale les plus haut-gradés des Etats-Unis, relayés par Twitter, Facebook et Google et une grande partie de la presse, écrivirent une lettre ouverte dans laquelle ils certifièrent qu’il s’agissait d’une désinformation russe. La censure qui s’en suivit fut menée au nom de l’intégrité de l’élection, après que les systèmes électoraux furent rangés, in extremis le 6 janvier 2017, par Jeh Johnson, parmi les « infrastructures essentielles ». D'après l’ancien directeur de la CIA Michael Morell, ce serait à l’initiative d’Anthony Blinken, alors en campagne pour Joe Biden, que la lettre ouverte qualifiant l’affaire Hunter Biden de propagande russe a été écrite, pour faire gagner Joe Biden[8].

En 2018, le Congrès avait créé, dans le DHS, la CISA (Cybersecurity and Infrastructure Security Agency) à laquelle s’est ajouté, en 2019, la Foreign Influence Interference Branch ; les deux travaillant de concert. Au prétexte de prévenir tout sabotage électoral, ont pu être ainsi censurées les idées partagées en public par des Américains qui auraient été implantées par des agents étrangers. En janvier 2021, une fois les élections passées, la CISA a dit vouloir se concentrer sur les MDM (mésinformation, désinformation et malinformation). Elle allait donc désormais, aidé en cela par un groupe de travail de 15 personnes chargées de débusquer toute forme de désinformation, se concentrer sur la mission visant à imposer un narratif sur la vérité. Ce fut bien pratique pour gérer ce qui pouvait se dire pendant la pandémie. « L’Amérique s’était dotée de son propre ministère de la vérité » (p. 34). L’Election Integrity Project (EIP)[9] servit au gouvernement de centrale de signalement d’une désinformation domestique. Il aurait signalé, d’après le journaliste Michael Shellenberg, « plus de 20 millions d’incidents de mésinformation » entre le 15 août et le 12 décembre 2020. La Foundation for Freedom Online a rapporté, pour le cycle électoral de 2020, entre autres, que des centaines de millions de publications individuelles sur Facebook, de vidéos Youtube, de TikToks et de tweets avaient été impactés.

 

11. The nouvel État/parti unique

Alors qu’il n’y a pas si longtemps l’usage de l’expression « État profond » suffisait à vous classer parmi les théoriciens du complot, elle fut revendiquée au nom du sauvetage des élections de 2020. David Rothkopf a ainsi pu sous-titrer son livre American Resistance : The Inside Story of How Deep State Saved the Nation. Comme Michael Lind l’a écrit, la classe dirigeante nationale est composée de gens appartenant à « une oligarchie nationale homogène, avec les mêmes accent, manières, valeurs et formations, originaires de Boston à Austin et de San Francisco à New York et Atlanta » (p. 37). Pour eux, seuls les membres de cette oligarchie ont vocation à gouverner le pays. C’est pourquoi l’apparition de Donald Trump fut ressentie comme une menace existentielle. Face à cette menace, lors de la campagne présidentielle de 2020, d’après Lee Fang et Ken Klippenstein pour The Intercept, « Les entreprises de la Tech, Twitter, Facebook, Reddit, Discord, Wikipedia, Microsoft, LinkedIn, Verison media d’une part et le FBI, la CISA et des représentants du gouvernement d’autre part se rencontrèrent une fois par mois […] pour discuter de la manière de gérer la désinformation pendant les élections » (p. 37). D’après Jacob Siegel, cette classe dirigeante est persuadée que, même si elle fait des erreurs, elle est la seule à pouvoir exercer le pouvoir sans faire peser « une menace existentielle sur la civilisation » (p. 38).

Même quelqu’un comme Sam Harris[10] a perdu ses nerfs avec l’élection de Donald Trump. Il a reconnu le caractère politique de la censure de l’affaire Hunter Biden – « une conspiration de la gauche pour empêcher Donald Trump de devenir président » - qu’il a approuvée. Il est même allé jusqu’à dire qu’ « il se fichait de savoir ce qu’il y avait dans l’ordinateur de Hunter Biden […] Hunter Biden aurait pu avoir des cadavres d’enfants dans sa cave, je m’en serais fichu » (p.38). Pour lui, la réélection de Donald Trump était l’équivalent « d’une astéroïde s’apprêtant à frapper la terre » (p. 38). Tout était alors permis, y compris violer la Constitution et cacher la vérité.

 

12. La fin de la censure

C’est grâce au rachat de Twitter par Elon Musk que l’on a appris tous ces détails sur l’ère Trump[11]. Mais l’intelligence artificielle (IA), en laissant moins de traces, pourrait bien tout changer. La censure pourrait même devenir superflue, grâce à la manipulation automatique des contenus en ligne ou le pré-bunking, technique qui vise à accommoder les gens à repérer les contenus censés les désinformer. Bill Gates est fort enthousiaste sur les capacité de l’IA à combattre les « théories du complot » et la « polarisation politique ». Sur le site Just The News[12], Mike Benz a décrit le pré-bunking comme une « forme de censure narrative intégrée aux algorithmes des médias sociaux pour empêcher les citoyens de former des systèmes de croyances sociales et politiques spécifiques » (p. 39). Le Département de la défense finance des contrats avec des entreprises travaillant sur le secteur de la défense pour avancer sur les technologies de détection automatique d’attaques de désinformation de grande envergure. La National Science Fondation, qui finance la recherche des universités et d’institutions privées, a son propre programme pour surveiller des problèmes tels que la réticence à la vaccination et le scepticisme électoral.

Pour Jacob Siegel, c’est la fin de la première guerre de l’information qu’il vient d’analyser. Celle qui s’annonce, avec le recours à l’AI, sera plus difficile à détecter.

 

13. After democracy

Moins de trois semaines avant l’élection présidentielle de 2020, Le New York Times publiait un article d’Emily Bazelon intitulé « The First Amendment in the age of disinformation » dans lequel elle comparait les effets de la propagation d’une désinformation virale aux effets catastrophiques sur la santé du coronavirus. Pour étayer cette affirmation, elle citait le philosophe Jason Stanley et le linguiste David Beaver qui dans un livre déclaraient : « la liberté d’expression menace autant la démocratie qu’elle en favorise l’épanouissement » (p. 41).

Robert Reich, l’ancien secrétaire du Travail de Bill Clinton, déclara la censure nécessaire pour protéger la démocratie américaine. Il compara les déclarations d’Elon Musk sur la liberté d’expression en ligne, après son rachat de Twitter, au rêve de Trump, de Poutine et de « tout dictateur, homme fort, démagogue et baron voleur des temps modernes sur terre » (p. 42). Pour éviter les dérapages, nous sommes invités à nous soumettre à l’autorité de machines qui promettent d’optimiser nos vies et de nous éviter tout dérapage. « Les arts anciens de la conversation, du désaccord, de l’ironie, dont dépendent la démocratie et bien d’autres choses, sont soumis à un appareil de surveillance de type militaire – surveillance à laquelle rien ne peut résister et qui cherche à nous faire douter de notre propre capacité de raisonnement» (p. 42).


[1] https://www.tabletmag.com/sections/news/articles/disinformation-dictionary.

[2] Le tableau de bord Hamilton 68 fait référence au Federalist Papers n° 68, publié le 7 mars 1788 et attribué à Alexander Hamilton intitulé « The Mode of Electing the President ». Il fut lancé le 2 août 2017 par le groupe de réflexion Alliance for Securing Democracy, afin de lutter contre l’ingérence russe via les réseaux sociaux dont l’élection de Trump en 2016 aurait été l’exemple. https://securingdemocracy.gmfus.org/hamilton-68-a-new-tool-to-track-russian-disinformation-on-twitter/.

[3] Rappelons que les Républicains "Never-Trump" ont joint leurs forces à celles du Comité national démocrate. Ce dernier déclara, quelques mois avant l'élection de 2020, que la désinformation en ligne était « un problème qui concerne l'ensemble de la société et qui nécessite une réponse touchant l'ensemble de la société ». https://www.tabletmag.com/sections/news/articles/disinformation-dictionary.

[4] En référence à Star Trek.

[5] The Fight Against Disinformation in the U.S.: A landscape Analysis.

[6] On pourra lire à ce sujet l’article de Jenin Younes, toujours dans Tablet Magazine, qui traite des suites, notamment judiciaires, au nom du 1er amendement, à cette vaste entreprise de censure. Beaucoup n’ont pas été prises en compte par la justice. Mais, au Missouri, le procès intenté en mai 2022 contre l’administration Biden a été jugé recevable. L’enquête a révélé les échanges de mails entre l’administration et les médias sociaux. En mars 2023, le juge Terry A. Doughty a rejeté la requête du gouvernement en rejet. https://www.tabletmag.com/sections/arts-letters/articles/americas-censorship-regime-goes-on-trial-missouri-biden. En fait, les médias sociaux sont exemptés de l’application du 1er amendement par le Communications Decency Act de 1996, sous-section 230. Mais la Cour du Missouri a considéré que l’implication de services de l’État dans les actes de censure des médias sociaux pouvait convertir une censure privée en une action de l’État. https://lawliberty.org/measuring-the-reach-of-state-censorship/. À suivre…

[7] https://www.micheletribalat.fr/435379014/against-the-great-reset-1.

[8] Cf. Mattt Taibi, 22 avril 2023, https://www.racket.news/p/news-blackout-in-effect.

[9] Fondé en 2020 en partenariat avec le DHS, l’EIP a rassemblé le Stanford Internet Observatory, Graphika, Washington University’s Center for an Informed Public et l’Atlantic Council’s Digital Forensic Research.

[10] Sam Harris, écrivain spécialisé dans les neurosciences, est devenu une star sur YouTube avec des vidéos dans lesquelles il débat avec des invités sur des sujets variés, notamment dans une série de podcasts intitulés Making Sense. https://www.samharris.org/podcasts/making-sense-episodes.

[11] Grace notamment au travail d’analyse de Matt Taibi. https://substack.com/profile/263053-matt-taibbi.

[12] https://justthenews.com/government/federal-agencies/minority-report-google-prebunking-initiative-builds-feds-anti-populism.